A propos de Street View/Réappropriation :
J'ai commencé à m’intéresser à Google Street View (GSV) en 2009. L’intérêt du système de Google est d’apporter une image sans « point de vue » totalement mécanisée et aléatoire, que l’on pourrait dire « neutre » (au sens employé par Barthes d’un « apparent » renoncement au sens) et cela sur une échelle géographique impressionnante. De la Street Photography sans photographe en quelque sorte. Une masse de matériau disponible permettant d’accéder à des milliers de photos pour les sélectionner, les modifier, les assembler, les retravailler en les détournant de leur destination initiale. Il s’est ainsi développé assez vite, à partir de 2008, une petite communauté d’artistes qui se sont passionnés pour ces images et qui en ont perçu le potentiel esthétique. Quelques exemples parmi d’autres : Michael Wolf et son jeu sur les images pixelisées, Edgar Leciejewski avec un travail particulier sur le hiératisme des personnages googlisés, le projet 9eyes de Jon Rafman, ou encore les installations de Obert Hewlett et Ben Kinsley qui détournent le projet de Google Street View lui-même en inventant des scènes qui seront ensuite saisies par les Google cars.
Après la catastrophe de Fukushima en 2011 (tsunami, tremblement de terre, accident nucléaire), les autorités japonaises ont autorisé Google et ses "Google cars" à effectuer une campagne photographique sur les lieux mêmes de la catastrophe. Certains sites étant radioactifs, la campagne photographique a été réalisée dans des conditions particulières et extrêmes. Dès la mise en ligne de ces milliers de photographies, j'ai voulu les consulter, les sélectionner, les classer, pour constituer un matériau qui soit à la fois une source de création originale mais aussi un ensemble d'archives visionnables encore aujourd'hui : les séries de photos que j'ai retravaillées en 2011 ne sont désormais plus consultables sur Google Street.
Il m’a enfin semblé intéressant de travailler les images de GSV mais à une échelle plus importante, pour constituer une sorte de fresque aléatoire du piéton parisien. Jouer de cet effet de « masse disponible » offert par GSV en associant des centaines d’images comme autant d’instants décisifs mécanisés. La multiplication des images renforçant aussi l’aspect spectral des silhouettes dû au floutage des visages. J’ai d’abord cherché, parmi les milliers d’images disponibles dans Paris, celles qui correspondaient aux critères que j’avais retenus (diversité des quartiers, des physionomies, mixte de silhouettes simplement « en marche » ou saisies dans un moment particulier : au téléphone, à vélo, allumant une cigarette, etc.). Mais aussi ces piétons « regardant » les caméras de GSV, ayant donc conscience d’être pris en photos, mais qui échapperont ensuite partiellement à celle-ci par le jeu du floutage. Au total, après un travail de recadrage de chaque « scène » pour en isoler une silhouette particulière, puis la mise aux dimensions (pixels) et les réglages (couches RVB, contraste, etc.) de chaque photo, ce sont près de 300 images qui sont associées pour former une large mosaïque du piéton parisien.